Vivre un film de Miyazaki dans les Alpes japonaises

Salut tout le monde ! J’espère que vous vous portez bien et que vous tirez profit des ponts du mois de Mai ! C’est comment la météo par chez vous ? Vous avez du beau temps ?
Au Japon le mois de Mai est l’un des plus agréables de l’année. Alors soyez les bienvenus dans ce nouveau carnet de voyage rempli d’air pur, de fleurs, et de bestioles en tous genres. Après avoir quitté la préfecture de Mie, nous rejoignons la montagneuse préfecture de Gifu et ses ‘Alpes japonaises’. C’est nichés dans une vallée verdoyante que nous avons enfilé nos tenues d’aubergistes, et accueillis des clients internationaux dans un Ryokan traditionnel haut de gamme tout droit sorti d’un film des studios Ghibli.
Plongez avec moi dans cette semaine hors du temps !

Un court arrêt dans la ville « la plus ennuyante du Japon »

De la ville de Tsu (dans la préfecture de Mie) à la préfecture de Gifu, le trajet est long. Peut-être un peu trop long pour le faire d’une traite. Par conséquent, nous avons fait un petit arrêt dans la grande ville de Nagoya. Et pourtant, elle a la réputation d’être une ville terriblement ennuyante dans laquelle il n’y a rien à faire.
Il est vrai que cette métropole n’a rien d’excitant aux premiers abords, avec ses nombreux buildings et son ambiance très sérieuse. Cependant, en fouillant un peu, on peut y faire de très belles visites et découvrir quelques petites pépites.

Le premier passage obligé sera le château de Nagoya, et son jardin. Comme la plupart des châteaux japonais, l’extérieur est souvent plus appréciable que l’intérieur. Le ballet des corbeaux à son sommet lui a en tout cas donné un look très cinématographique !

Le mois de Mai est synonyme de verdure au Japon, et tous les jardins n’en deviennent que plus beaux. C’est donc naturellement le cas pour le parc du château ! Il se visite en flânant dans ses allées fleuries et bordées d’anciens salons de thé.

Continuons sur le thème du vert ! En nous éloignant un peu du centre-ville, nous sommes ensuite allés à la rencontre d’une divinité imposante mais discrète. Assis dans le temps Tōgan-ji, le grand bouddha vert est un petit (gros ?) joyau de sérénité complètement caché et inconnu des touristes.

D’ailleurs, saviez vous que les japonais diront que les arbres qui entourent ce bouddha ont de belles feuilles bleues ?

🟦 Pourquoi les Japonais disent « bleu » pour parler du vert ?

En japonais, le mot « ao » (青) signifie aujourd’hui « bleu », mais il a longtemps désigné à la fois le bleu et le vert. Ce n’est pas une erreur, mais une trace d’un ancien système de perception des couleurs.


Pendant des siècles, le japonais ne distinguait que quatre grandes familles chromatiques : le blanc, le noir, le rouge, et ce fameux « ao ». Il englobait tout ce qui était frais, vivant, végétal… le ciel, l’eau, mais aussi les feuilles et les jeunes pousses.
C’est pourquoi on continue de dire :
「青信号」ao shingō = feu tricolore bleu (en réalité vert )
「青りんご」ao ringo = pomme bleue
「青野菜」ao yasai = légumes bleus
Le mot « midori » (緑) qui désigne la nuance verte existe bien, mais il s’est imposé plus tard, d’abord comme un mot poétique, avant d’entrer officiellement dans le langage courant après la Seconde Guerre mondiale.
Alors aujourd’hui, les deux cohabitent. « Midori » pour parler du vert en tant que couleur. « Ao » pour ce qui est jeune, vivant, vibrant.

Et l’expression « l’herbe est toujours plus verte ailleurs » ?
En japonais, on dit :
「隣の芝生は青い」(tonari no shibafu wa aoi) – « La pelouse du voisin est bleue ! »

Dans le même esprit, la maison Yōkisō et son jardin, situés dans un quartier cossu, sont plutôt des adresses locales. On peut s’y asseoir et s’isoler un peu du bruit de la circulation, en profitant du bel aménagement du jardin. N’hésitez pas ensuite à vous promener un peu dans la zone. On y trouve de jolis lieux historiques très calmes, comme le temple Nittai-ji et sa grande pagode.

De retour dans les classiques de la ville, nous sommes passés par le magnifique temple Ōsu Kannon. Nombreux sont les japonais qui viennent y prier rapidement, ou se purifier grâce à l’encens devant la porte d’entrée.

Une des attractions de ce temps est qu’on peut y nourrir les pigeons. Cet oiseau qui a plutôt mauvaise presse chez nous est mieux accepté au Japon. Peut-être car il n’y pullule pas autant… (merci aux corbeaux).

En quittant le temple, si vous avez un petit creux, direction la rue commerçante Osu Shotengai. Vous y trouverez de nombreuses douceurs, et notamment notre coup de cœur culinaire à Nagoya : la boutique de dango Shinsuzume Honten.
Servis par un papy à l’humeur variable, leur qualité est elle, bien garantie. La version saupoudrée de kinako moelleuse, sucrée, umami. A tomber par terre ! (Il n’y a littéralement pas de chaises devant l’échoppe.)

Dango : trois boulettes et tout un monde

Au Japon, on mange le dango depuis plus de mille ans. Ce sont de simples boulettes de farine de riz, enfilées sur des pics en bois. Elles sont parfois grillées, parfois nappées de sauce sucrée-salée au soja (mitarashi), ou encore recouvertes de pâte de haricots rouges.

Mais sous son apparente simplicité, le dango est un repère culturel important du pays.

Au printemps, on déguste le hanami dango, tricolore (rose, blanc, vert) sous les cerisiers en fleurs. En automne, le tsukimi dango s’empile en pyramide pour célébrer la pleine lune. Et toute l’année, on en trouve près des temples, dans les festivals, dans les petites échoppes de rue ou au rayon snacks du supermarché du coin.

Dans les animes, dans les chansons, dans les jeux vidéo. C’est ce que mangent les grands-mères devant leur porche, et les écoliers en sortie scolaire. On le voit sur les étals des festivals, toujours trois ou cinq boules par brochette — jamais quatre, chiffre associé à la mort.

Au fond, c’est peut-être ça, le dango :
Quelque chose de doux, de chaud, de réconfortant, qu’on partage sans y penser, mais qui dit beaucoup de ce qu’est le Japon : un pays où les petites choses prennent beaucoup de place.

Boulettes de riz mises à part, il existe un plat bien plus noble qui a fait la renommée culinaire de Nagoya : l’anguille.
Cette dernière est préparée en hitsumabushi, c’est-à-dire en morceaux grillés déposés sur du riz. Historiquement, cela vient du fait que l’anguille est un poisson coûteux. Les morceaux restants étaient ainsi découpés puis préparés de cette façon afin de ne rien gâcher.
L’anguille de Nagoya se déguste d’une façon très ritualisée, en 4 temps.

  • 1er temps : savourer l’anguille et le riz seuls, pour en apprécier les arômes purs
  • 2ème temps : ajouter les condiments comme l’oignon vert ou l’algue nori pour découvrir de nouvelles saveurs
  • 3ème temps : verser sur le plat du thé ou du dashi pour des bouchées plus légères
  • 4ème temps : déguster la dernière partie comme vous le souhaitez 🙂

Une semaine dans l’auberge Tanekura Inn et son ambiance unique

Pour rejoindre notre prochaine destination, il vous faudra prendre un train (très) local vers la bourgade de Sakakami, puis conduire 15 minutes dans la vallée. Vous arriverez alors dans le charmant hameau de Tanekura, constitué de maisons en bois éparses, de chemins verdoyants bordés de fleurs, et de greniers de stockage à céréales.

Bienvenue à Tanekura

C’est dans ce petit paradis que nous avons découvert notre lieu de résidence pour les 8 prochains jours : l’auberge Tanekura Inn. Géré par la municipalité locale, ce Ryokan propose une expérience unique qui transporte ses clients directement dans un film Ghibli. Les heureux locataires peuvent ainsi profiter d’un magnifique bâtiment en bois, décoré avec goût, de chambres traditionnelles avec tatamis, mais aussi d’une cuisine délicieuse qui utilise des ingrédients locaux.
L’auberge est de plus dotée d’un irori, cette sorte de cheminée japonaise ouverte et posée à même le sol, qui permet de déguster des plats grillés à la braise.

Bienvenue à l’auberge de Tanekura

Notre travail consistait à cuisiner les repas des résidents, ainsi qu’à nettoyer les parties communes et préparer leurs chambres pour la nuit. Je peux sans aucun doute affirmer qu’il s’agit d‘un des volontariats les plus exigeants que j’ai pu faire jusqu’à maintenant. L’auberge étant plutôt luxueuse, l’attention au détail était poussée à son paroxysme ! De l’angle des légumes à disposer dans les assiettes, au moindre grain de poussière à chasser : tout devait être irréprochable.
Heureusement, monsieur Shinji, notre hôte et manager de l’auberge, nous a guidés dans ce travail périlleux avec une grande bienveillance.

Monsieur Shinji, tout droit sorti du conte de la princesse Mononoke

En plus d’être un travailleur acharné, Shinji-san propose aux clients de l’auberge une véritable immersion dans la culture locale. Il offre ainsi une expérience de cuisine de soba, les nouilles au sarrasin japonaises. Le sarrasin étant cultivé dans la région, les résidents peuvent en apprendre plus sur ce pilier de la cuisine du pays.

De même, afin de tirer profit des richesses des montagnes environnantes, une activité de récolte d’herbes et plantes de montagne est organisée. Nous nous y sommes discrètement greffés. Plantes directement comestibles crues, à faire frire en tempura, ou encore à infuser : les espèces ne manquent pas !

Cette récolte en plein air est l’occasion parfaite d’apprécier la quiétude et la beauté du village de Tanekura. J’ai adoré photographier le village sous tous les angles !
De plus, une ambiance sonore accompagne la balade ! Grâce à un partenariat avec une université d’art, un haut-parleur diffuse un son cristallin plus au moins aigu ou grave dès qu’une étoile passe au-dessus du village. Plutôt cool non ?

Même les jours nuageux deviennent cinématiques, lorsque les nuages enveloppent les cimes des montagnes alentours. Nous avons profité de belles balades dans les chemins forestiers pour découvrir de beaux panoramas…mais gare aux ours !
La région grouille en effet de petits ursidés bruns. Plutôt peureux (comparés aux ours du Nord du Japon qui sont carrément dangereux) nous en avons pourtant repéré plusieurs lors de nos promenades… Dont un perché 20 mètres en haut d’un arbre. Avis aux promeneurs : levez bien les yeux la prochaine fois, on ne sait jamais…

Pas de doute, cette forme sombre en haut de l’arbre est bien un ours gourmand

Lors de nos jours de repos, nous avons pu explorer quelques lieux totalement uniques de la région. Le premier est un marécage très préservé qui abrite des espèces végétales typiques de ce genre de milieu. On peut notamment citer le fameux chou puant japonais. Malgré son nom, sa fleur ne sent pas grand-chose et il est plutôt mignon avec son grand pétale blanc à l’allure de voilier.

Notre dernière visite aura été des plus mémorables. Nous avons pris la direction de Toyama pour rejoindre la fameuse Alpen Route en bus. En arrivant au lieu-dit Murodo, il est possible de profiter d’un paysage unique…sous la neige ! La région est, en effet, située à très haute altitude et le printemps est la saison idéale pour profiter d’une belle neige fraiche et d’un grand soleil.

C’est dans ce lieu que se situe le fameux Snow Corridor, un gigantesque mur de neige qui encadre la route d’accès. Haut de presque 16 mètres le jour de notre visite, il donne lieu à de nombreuses photos où les touristes tentent de capturer le passage d’un bus pour mettre sa hauteur en perspective.

En plus des visiteurs, les montagnes enneigées sont également peuplées de Lagopèdes, (ou Raicho, pour « oiseau tonnerre » en japonais). Ces volatiles emblématiques de la région ne sont pas craintifs, et leur observation donne droit à un sticker commémoratif. Sympa !

Une fois redescendus de la montagne, la fin de ce volontariat nous a accueillis beaucoup plus vite que ce que nous pensions. C’est ainsi avec un petit pincement au cœur que nous avons repris la route en laissant derrière nous l’ambiance magique de Tanekura et son auberge.

Quelques jours idylliques à Hida et Takayama

Afin de profiter une dernière fois de la préfecture de Gifu, nous nous sommes arrêtés quelques jours dans les charmantes villes de Hida-Furukawa, et de Takayama. Non loins l’une de l’autre, elles partagent une ambiance unique avec leurs rues anciennes et leurs boutiques alléchantes.
Hida-Furukawa est la plus petite et la plus confidentielle des deux. La ville a la particularité de comporter des points d’interêts qui ont servi d’inspiration au célèbre film d’animation film ‘Your Name‘ de Makoto Shinkai. On se prend alors à flâner dans les rues pittoresques, et à photographier ces lieux pour les comparer à ceux du film. Petit florilège :

Dans le film le train arrive du mauvais côté des rails
Le tissage kumihimo qui permet de faire des bracelets
La mascotte dans la gare de Hida

Takayama, elle, est plus grande est bien plus touristique. Le marché qui s’y tient tous les matins fait sa célébrité, et les touristes comme les locaux viennent y faire leurs emplettes et déguster des produits de la région.

N’hésitez pas à sortir des rues passantes et à pousser la porte des petits cafés et vous y ferez peut-être de belles rencontres ! Pour notre part cela aura été le café tenu par l’association de geishas de la ville. En plus d’un repas du midi délicieux et bon marché, nous avons été accueillis à coeur ouvert par la tenante de l’établissement. Geisha de formation, elle nous a donné des cours de tambour traditionnel et d’origami. Un vrai moment de complicité qui fait du bien !

Ainsi, comme d’habitude, en s’éloignant un peu des rues bondées, on retrouve souvent des zones superbes qui valent qu’on s’y promènent au gré des envies, comme la belle promenade Higashiyama.

Pour conclure cette épopée dans la préfecture de Gifu, nous avons passé une nuit dans la prestigieuse auberge Yatsusankan. Renommée dans les environs, elle ne représente ni plus ni moins que ce que le Japon a de mieux à offrir en termes d’hospitalité. Chambre sensationnelle dotée d’un onsen privatif, vue à couper le souffle sur le grand temple Honkoji, décoration des plus grands raffinée… Rien n’est laissé au hasard dans cette expérience exceptionnelle.

Le repas est digne de la réputation de l’établissement. Il change tous les jours et mets en valeurs des produits locaux, de saison, et d’une grande qualité. Nous en garderons un souvenir incroyable, en forme de parfaite conclusion de ce mois riche en émotions.

Fin du mois de volontariat, retour à la civilisation

C’est en reprenant le train pour quitter Gifu que j’ai pris conscience de tout ce que nous avons vécu lors du dernier mois. Nous avons traversé 3 préfecture en y savourant les trésors qu’elles nous ont offert. Le plus beau d’entre eux est, sans aucun doute, les superbes rencontres que nous avons eu la chance de faire. La liste des belles personnes croisées lors de ce voyage s’allonge doucement. Je me demande souvent si j’aurai l’occasion de les revoir un jour. Même si ce n’est pas le cas, je suis extrêmement reconnaissant de tout ce qu’elles ont pu m’apprendre, et rien que pour cela, ce voyage n’a pas de prix.

Pour la suite du périple, c’est un grand retour à la civilisation après un mois de cambrousse. C’est en effet à Tokyo, en solo, que je pose mes valises pour près de deux mois. Ce sera ainsi le lieu dans laquelle je devrais passer le plus de temps, mais il parait qu’il y a de quoi faire ! J’ai en tout cas hâte d’en explorer les recoins.

D’ici là portez vous bien, et buvez plus d’eau !

またね
Antoine